Disons-le tout net : j'étais sceptique. Comme beaucoup, je suis sous le charme - et le mot est faible - des romans de J.K. ROWLING et la saga Harry Potter ne cesse de m'émerveiller. J'admire sa richesse, son imaginaire, sa capacité à synthétiser tous les univers légendaires, son humour, sa noirceur, bref, je suis une inconditionnelle d'Harry Potter ! Et c'est pour cette raison que je me suis longtemps à refuser à lire des "dérivés", cette littérature de jeunesse qui mêle joyeusement magie, ésotérisme de bazar, héros adolescent dans un fatras foutraque et livre une espèce de brouet quand on espère des crèmes...
Et puis, parce que je suis entêtée mais pas complètement bornée non plus, j'ai "goûté" à Tara Duncan. Entendons-nous bien, j'ai attendu qu'elle sorte en poche. Et j'y suis allée sur la pointe des pieds. Et j'ai été conquise ! Car une fois passée cette fâcheuse capacité que nous avons (ou suis-je la seule ?) à vouloir comparer, j'ai découvert un univers unique... et, oserais-je dire, typiquement français. Il y a dans ces romans une fantaisie, une drôlerie, une auto-dérision tout à fait séduisantes. Le monde créé par Sophie AUDOUIN-MAMIKONIAN est tout bonnement fantastique, d'une richesse époustouflante (le langage y est pour beaucoup - et le fait que ces romans soient écrits en français et non plus traduits n'y est pas pour rien) et d'une inventivité époustouflante... Fidèle à mes éditions de poche, je me suis donc ruée sur le deuxième et maintenant, eh bien j'attends que les autres sortent en poche !
C'est un extrait du premier tome que j'ai choisi de vous présenter. Tara'tylanhnem Duncan est une jeune fille qui vient de découvrir qu'elle était "sorcelière", sorcelier signifiant "ceux qui savent lier les sorts". S'ensuivent une série d'aventures plus palpitantes les unes que les autres, puisqu'on découvre que Tara n'est pas l'orpheline qu'elle pensait, que l'univers de l'Autre Monde l'attend, voire la recherche activement, que des méchants sont sur le coup, bref, plein de rebondissements en perspective. Alors, histoire de reprendre quelques forces, voici donc un :
BANQUET A OMOIS
Ils se faufilèrent discrètement à leur table. Un somptueux dîner y était déjà dressé, avec d'immenses plats dorés et de fines assiettes de porcelaine. Cal et Robin ouvrirent de grands yeux devant le festin qui les attendait. De nombreux aliments reposaient sur... rien, flottant dans l'air juste au-dessus des tables.
Tara découvrit que les apparences ne correspondaient pas forcément à la réalité en goûtant un riz blanc tout ce qu'il y a de plus banal qui lui mit la bouche en feu pendant une demi-heure.
Après avoir avalé au moins trois litres d'eau, elle observa ce que mangeaient les autres et les imita prudemment.
Les viandes avaient des goûts... bizarres, pas mauvais, mais inhabituels. Les sauces étaient relevées et les légumes d'aspect classiques (genre fèves, graines ou encore racines) dégageaient des odeurs et des goûts très différents. Une sorte de haricot notamment lui fit penser à un renversant mélange de brocolis et de banane, une espèce de tomate jaune avait un goût de chou-fleur à la sardine et les salsifis rouges ressemblaient à des pêches trempées dans du miel.
Il y avait également des Boumbar, les bonbons qu'aimait Cal. Quand elle en mit un dans sa bouche, il commença à fondre, puis explosa littéralement, libérant toutes ses saveurs. Elle vit aussi des Kidikoi, d'étranges sucettes en forme de grenouilles blanc et bleu dont le coeur cachait un secret. Quand on avait dégusté le ventre ou le dos de la grenouille, une phrase apparaissait qui prédisait l'avenir. Pour Tara, la sucette magique annonça : "Maintenant tu te tracasses, car le danger te menace."
Tara grimaça. La sucette ne lui révélait rien de bien nouveau. Cal fut averti par sa Kidikoi qu'il allait se tromper et Robin qu'il allait se dévoiler, ce qui sembla complètement le paniquer. Moineau, prudente, refusa d'en prendre une. La couleur était à chaque fois la même, aussi était-il impossible de savoir qu'elle serait la saveur. Tara expérimenta successivement les parfums steak à l'orange, puis cerise à l'orgeat, camembert au chocolat, poisson pané au citron, prune au piment rouge, pomme au poivre. Le problème étant bien sûr qu'il fallait tout manger si on voulait accéder à la phrase magique ! Cal lui apprit que les P'abo, les lutins farceurs, étaient les créateurs de ces sucettes. Ils s'étaient inspirés des centaures, mi-hommes mi-chevaux des vallées de l'Est, qui avaient pris la mauvaise habitude de lécher le dos des Pllops, grenouilles blanc et bleu extrêmement venimeuses pour les autres races, car leur venin leur donnait des rêves agréables et parfois même des visions d'avenir.
Elle aima beaucoup le Tzinpaf, boisson pétillante pomme-cola avec un soupçon de citron, et détesta la Barbrapo, espèce de breuvage fermenté amer à la couleur jaune, qui la fit frissonner.
Pendant le repas, Robin laissa tomber les petits pains qui se trouvaient dans la panière.
Il se passa alors une chose curieuse. Il rattrapa la panière bien avant qu'elle ne touche terre. Cela surprit Tara qui se souvint avoir déjà vu quelqu'un faire preuve de cette vitesse inhumaine. Elle fronça les sourcils puis oublia l'incident.
Le banquet se termina sur une symphonie de chocolat fourrés (ça, apparemment, c'était universel), et Dame Auxia, la Haute Mage du Conseil d'Omois (cousine de l'impératrice), une belle femme brune, se leva et déclara :
- Mes chers amis, permettez-moi à présent de vous souhaiter la bienvenue à Tingapour !
Sophie AUDOUIN-MAMIKONIAN, Tara Duncan - Les Sorceliers, 2003.
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