Le Cercle du karma, c'est d'abord l'histoire d'une femme : Tsomo, première fille mais troisième enfant d'une fratrie de douze. Tsomo la décidée, Tsomo la docile et pourtant révoltée, qui ne peut se résoudre à son destin de femme au Bhoutan, où le savoir est réservé aux hommes et qui voit, pleine de frustration, son père, religieux laïc, enseigner à ses frères mais pas à elle. C'est ainsi que le roman de Kunzang CHODEN est celui d'une quête, d'un voyage initiatique vers la paix et la sérénité, autant de choses que Tsomo trouvera, enfin, au terme de sa vie.
L'extrait que j'ai choisi dévoile un aspect de la vie quotidienne, non pas au Bhoutan, que Tsomo a quitté à ce moment-ci, mais au Tibet, à Kalimpong très exactement. Tsomo et Dechen Choki, une jeune femme qu'elle a rencontrée au fil de ses pérégrinations, ont retrouvé le frère de Tsomo, devenu gomchen, autrement dit religieux. Ce dernier les invite au restaurant. Voici donc :
MOMOS A KALIMPONG
Tous trois quittèrent le dharamsala pour se rendre au restaurant dont Gyalsten Phuentso avait parlé. C'était une salle tout en longueur avec plusieurs tables et des chaises. Des gens y étaient attablés, dont certains levèrent les yeux à l'entrée des trois Bhoutanais, avant de replonger le nez dans leur assiette. Ils posèrent leurs bagages près d'une petite table qui se trouvaient juste à côté de l'entrée et s'assirent. Une vieille Tibétaine vint aussitôt leur demander ce qu'ils voulaient manger. Tout cela était très nouveau pour Dechen Choki et Tsomo. Elles étaient assises sur le bout des fesses, ne sachant trop quelle attitude adopter. Alors que tous les autres avaient l'air propre et frais, elles ne s'étaient pas lavées et se sentaient crasseuses. La salle était très décorée. Elles reconnurent la photo du Dalaï-Lama à l'autre bout de la salle. On avait tendu un khada dessus de la photo. Sur les murs, de grands posters de jolies femmes, de bébés, d'animaux, ainsi que des rangées de coquillages avec de belles formes et des torsions compliquées. Chaque table était ornée d'un vase coloré rempli de fleurs artificielles tout aussi colorées. Dechen Choki et Tsomo étaient fascinées. Tout était si joli, si différent de ce qu'elles avaient vu jusque là. Dechen Choki n'arrêtait pas de s'exclamer : "Regarde ce vase ! Regarde ce tableau !" Elles parlaient en chuchotant comme si elles craignaient de faire disparaître quelque chose en parlant trop fort. Gyalsten Phuentso commanda des momo*.
"J'adore essayer des trucs nouveaux, surtout les plats que je ne connais", dit Dechen Choki, s'animant tout à coup. Puis, un peu gênée par son enthousiasme, elle pouffa de rire.
La femme apporta bientôt trois bols fumants de soupe garnie de coriandre fraîche et de feuilles d'oignon. Elle posa devant eux trois assiettes, chacune contenant huit momos. Puis elle apporta un grand bol de pâte de piment rouge en disant : "Les Bhoutanais mangent trop de piment". Elle avait vu qu'ils étaient bhoutanais à leurs vêtements. Le porc haché avec du gingembre, des oignons et du piment, cuit en beignets à la vapeur, était délicieux. Tsomo ne mangerait plus jamais d'aussi bons momos de sa vie. "Dieu, que c'est bon. Est-ce le genre de plat qu'on mange ici ? demanda Dechen Choki.
- C'est un plat tibétain, beaucoup de restaurants en servent. C'est très facile à faire, en fait, mais ça prend du temps."
Dechen Choki et Gyalsten Phuentso bavardaient comme de vieux amis.
" Vous savez faire les momos ? Vous voudrez bien m'apprendre ?" et Dechen Choki d'insister jusqu'à ce que Gyalsten Phuentso accepte.
Kunzang CHODEN, Le Cercle du karma, 2007.
* boulettes de viande enrobées de farine de sarrasin
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