Le Banquet du Millénaire (K. SWAMINATHAN)
Le Salon du Livre de Paris 2007 vient juste de s'achever. Cette année, il faisait honneur à la littérature indienne. Et comme cela se passe à Paris (là, c'est la provinciale aigrie qui parle...), les médias l'ont médiatisé. Et c'est ainsi que j'ai découvert des bribes de littérature indienne. Un roman parmi tous a plus particulièrement retenu mon attention, celui de Kalpana SWAMINATHAN, Saveurs assassines. Il s'agit du premier d'une série de cinq, qui met en scène Miss Lallie, retraitée sexagénaire du service des homicides de la police de Bombay. A la manière de la Miss Marple d'Agatha CHRISTIE, Miss Lallie se retrouve conviée, avec sa nièce la narratrice, à un week end gastronomique dans une luxueuse villa de Bombay. Là le cuisinier, Tarok Ghosh, va officier et y organiser le "Banquet du Millénaire". Inoubliable.
C'est donc à un festival culinaire que nous avons affaire avant tout : les mets se succèdent, plus variés, plus délicats, plus raffinés les uns que les autres. Quand je pense que je résumais l'Inde au curry et au lassi, honte à moi ! Pour le reste... eh bien, n'est pas Agatha CHRISTIE qui veut et si ce roman se lit facilement, on ne peut pas dire que la trame policière soit captivante. le côté Cluedo, meurtre en vase clos, tourne assez vite en rond et l'enquête manque un peu de peps. Mais bon, il en reste d'appétissantes descriptions ! Voici donc un moment du :
BANQUET DU MILLÉNAIRE
- Faites-moi plaisir encore un instant, dit Tarok en apportant les plats de riz. Sous le menu, chacun trouvera une enveloppe à son nom. Je vous prie d'attendre la fin du repas pour l'ouvrir. Elle contient une prédiction. Contrairement aux biscuits chinois, c'est mon idée des plats que chacun va préférer.
- Tu pousses, protesta Rafiq. Comment peux-tu deviner ? Je n'ai pas entendu parler de la moitié des plats qui sont ici, et je ne sais même pas ce que je vais aimer.
- Mais moi, je le sais, rétorqua Tarok. Prétentieux, non ?
- Un riz banal. En quoi c'est historique ? demanda Mr Bajaj non sans hauteur.
- C'est évident ! murmura Alif Bey. Il y a plus d'histoire pour un grain de riz que dans tous les champs de bataille du pays !
- Pour chacun de nous, l'histoire commence avec la mémoire, expliqua Tarok. (Sa voix s'était tendue et on y sentait la colère). Chacune des petites surprises que je vous ai préférées a raconté son histoire par le biais de ce qu'elle a réveillé dans votre mémoire. Vous, Mr Bajaj, avez eu un steak tartare parce que l'étiquette que vous avez dans votre mémoire...
- Course de chevaux, viande de cheval, prononça Félix judicieusement.
- Peut-être, convint Tarok en haussant les épaules. Le riz est là où ma mémoire commence. Quand j'ai organisé ce repas, j'ai choisi chaque plat dans un livre de cuisine familiale. J'avais presque fini quand je me suis rendu compte que, à moins d'y introduire un plat fait maison dont je me souvenais, le repas ne serait pas complet. Je vous donne à savourer le goût de chez moi, de ma maison, le dernier déjeuner dominical que j'ai dégusté avec ma famille à Dacca. Un rui maacher kaliya avec Shokti Ghor chaal.
Le repas était simple et délicieux mais il avait le goût des larmes.
-Ton navrattan pulao devrait figurer dans la vitrine d'un bijoutier, déclara Hilla. Vraiment, Tarok, c'est trop joli pour qu'on le mange.
- Le navrattan pulao n'appartient pas à la cuisine familiale, avoua Tarok.
- Peuh, ce n'est qu'un pulao de légumes, piaula Ujwala Sane en haussant les épaules. Rien de bien génial. Et le tandlachi roti qu'on trouve dans les villages. Trop fade.
- Essaie le bisi bele, lui suggéra son mari.
Il y avait en accompagnement trois plats de riz et trois de blé. Ujwala Sane décréta que le bisi bele et le haleem étaient la même chose.
- Non, contesta Chili. Ils ont un parfum différent.
Il fallait plus qu'une simple gamine pour en remontrer à Mrs Sane.
- Qu'est-ce que vous en savez ? l'apostropha-t-elle. Vous avez déjà mis le pied dans une cuisine, miss ?
Et brusquement tout le monde se mit à parler.
Tarok apporta des saladiers de légumes éclatants de couleur.
- Le parfum est une chose aléatoire, remarqua. Quand nous parlons du masala, nous admettons un mélange indistinct des sens. Masala, cette mixture d'épices, est un mot que j'exècre, il n'a pas sa place dans le lexique culinaire. j'aimerais que vous goûtiez ces légumes. Chaque plat est cuit avec un parfum différent. l'épice reste deux pas derrière la saveur du légume lui-même. Félix, à vous l'honneur.
Il y avait du chou avec une pointe de cumin, du chou-fleur avec du fenouil. des pommes de terre rendues croquantes par le sésame. De la pomme au gingembre, du brinjal avec de l'ajwain. Des green moong à la cannelle et des urad aux clous de girofle. Des oignons avec, ma foi, rien que des oignons. "Seulement du sucre", précisa Tarok en souriant comme je cherchais à déchiffrer celui-là. Il me retire les saladiers avec détermination.
Au bout d'un moment, tout le monde se tut. Le visage de Tarok s'éclaircit. Il aida Darsham avec son poisson et glissa un puranpoli sur l'assiette d'Arpita pendant que sa mère regardait ailleurs.
- Tout est merveilleux, Tarok, mais on doit se réserver pour le dessert, protesta Hilla. Que vas-tu nous donner ?
[...] En définitive, même le docteur en eut fini et nous ouvrîmes nos enveloppes. Il y eut des cris de surprise et d'indignation. Nous lûmes nos listes à haute voix, estomaqués de voir autant nos goûts mis au jour. Ma liste énumérait : chaat de pêches, légumes assortis, tandlachi roti, pateesa, Ishrat ul firdaus. C'était troublant.
Kalpana SWAMINATHAN, Saveurs assassines, 2007.
Bien entendu, il y a un glossaire à la fin du livre...